Les avocats préfèrent donner des conseils plutôt qu’en recevoir.
C’est en tout cas l’expérience que j’ai pu faire lors d’un colloque organisé par le Barreau de Bruxelles sur le thème de « La boîte à outils de l’avocat » (27 avril 2018). J’y ai animé un atelier sur le thème de « L’avocat face à la digitalisation » en collaboration avec Olivier Willocx (CEO de Beci – Chambre de commerce de Bruxelles).
Introduction
Comment passer d’un monde où l’essentiel de la valeur est fondé sur le savoir d’un avocat, son expérience, sa réputation et sa disponibilité à un monde d’immédiateté et de l’intelligence artificielle? Telle était la prémisse de notre exposé.
Jusqu’à présent, l’avocat est généralement évalué par ses clients à l’aune des critères suivant:
- Le savoir d’un avocat correspond aux connaissances accumulées;
- L’expérience d’un avocat se mesure en années de pratique et à des spécialisations (allant de diplômes à la reconnaissance de matières préférentielles reconnues selon des critères établis par la profession);
- La confiance en l’avocat est essentiellement préservée par l’Ordre des avocats;
- La réputation s’évalue principalement à l’aune de publications (dans la presse grand public ou dans des revues spécialisées) et de classements (ou « rankings ») professionnels établis annuellement;
- La disponibilité de l’avocat s’éprouve dans le cadre formel de consultations ou d’interventions dans des procédures devant les tribunaux (et parfois dans le cadre de procédures en arbitrage).
L’avocat face à la digitalisation : Ce qui change
Face au développement de la digitalisation et aux développement croissant des « Legal Tech », force est de faire les constats suivants:
- Les avocats ne pourront pas gagner la course du savoir face aux “machines”;
- Un avocat ne pourra pas livrer de prédictions comparables à celle d’un algorithme;
- L’avocat évoluera dans un marché où la concurrence sera accrue par le jeu des plateformes et de la “marchandisation” des services juridiques.
Plus concrètement, si l’on observe l’impact majeur de la digitalisation et la survenance de plateformes et la façon dont elles ont impacté les professions autres que celles liées aux services juridiques et aux avocats, plusieurs tendances se dessinent.
On peut s’attendre à ce qu’elles bouleversent le métier des avocats de façon tout aussi profonde.
La connaissance fera moins appel à la mémoire qu’à la capacité d’exploiter des bases de données
Le savoir juridique se trouve de plus en plus répandu et détaillé non seulement dans les moteurs de recherche traditionnels (tels que Google), mais également des bases de données juridiques spécialisées.
A l’avenir, les progrès de l’intelligence artificielle permettront un accès à l’information de plus en plus étendu tant à des avocats non spécialistes qu’à d’autres prestataires de services, voire même à leurs clients.
La réputation (en ligne) de l’avocat
Jusqu’à présent, la réputation d’un avocat est à la fois fonction de sa notoriété personnelle et de celle de son cabinet (surtout dans les moyennes et grandes structures).
Malgré de multiples résistances, la réputation des avocats s’évalue de plus en plus en ligne à la fois sur les moteurs de recherches et sur des sites spécialisés dont on peut attendre un développement croissant.
Vous êtes avocat et vous en doutez encore?
Alors, je vous invite alors à taper votre nom dans un moteur de recherches. Vous pourriez y découvrir des résultats plus ou moins agréables.
Prenons l’exemple de cette avocate (dont l’anonymat est ici préservé) et dont la fiche Google fait apparaître un avis peu élogieux:
L’avocat face à la digitalisation: Exemple Avis négatif sur une avocate
Avis sur la fiche « Google My Business » d’une avocate
Le profil de cette avocate comprend seulement deux scores très négatifs (2 étoiles sur 5) et un avis la qualifie notamment d’ « avocate vénale agressive ».
Que peut on déduire de cette fiche? Pas grand chose sur le fond (un simple avis ne peut faire foi tel quel). Toutefois, force est de constater que cette avocate n’a pas pris la peine de répondre aux avis rendus à son égard.
Que peut-on constater?
Peut-être cette avocate ignore-t-elle l’existence même de ces avis?
Certains diront qu’il ne revient pas à un avocat de répondre à des avis laissés Internet.
On comprend toutefois aisément les conséquences négatives d’une stratégie de déni: le doute ne profite pas à l’« accusé » en matière de réputation en ligne.
Que faire alors?
Conseil: Comme toute entreprise présente sur Internet, l’avocat devrait veiller à sa réputation en ligne et répondre le plus systématiquement possible aux avis.
Les bonnes pratiques en la matière invitent à prendre acte du commentaire et à y répondre de façon constructive. Par exemple, en invitant au dialogue, voire en mentionnant le fait que la personne n’est pas connue de l’avocat si cela se vérifie.
L’idéal étant bien sûr que des avis positifs véridiques puissent venir contrebalancer les commentaires négatifs pouvant traduire une expérience ou un sentiment isolé.
Gérer les commentaires (positifs et négatifs) offre à l’avocat une opportunité de se démarquer et de prévenir des déceptions ultérieures.
Par exemple, les honoraires relativement élevés d’un avocat peuvent se justifier par sa compétence ou son niveau de spécialisation (ce qui n’est pas toujours suffisamment compris par les clients potentiels).
Par exemple, les honoraires relativement élevés d’un avocat peuvent se justifier par sa compétence ou son niveau de spécialisation (ce qui n’est pas toujours suffisamment compris par les clients potentiels).
A l’avenir, on ne peut exclure que des avis soient également rendus au sujet de l’avocat de la partie adverse ou encore du juge.
Conclusion et pistes de réflexion
Rappelons que nous exposons ici des tendances qui touchent les avocats mais aussi l’ensemble des secteurs d’activités, y compris d’autres professions libérales telles que les médecins ou pharmaciens.
Les changements qu’entraînent la digitalisation présentent à la fois des risques pour la profession d’avocats, mais également des opportunités. Libre aux avocats – à l’instar d’entrepreneurs avisés – d’anticiper plutôt que de subir les changements tant positifs que négatifs engendrés par les nouvelles technologies et la digitalisation.
Concluons avec une citation :
« If you don’t take change by the hand, it will take you by the throat. »
Winston Churchill