“Je suis débordé de travail”. Lorsque je m’apprêtais à devenir avocat stagiaire en droit européen de la concurrence, voilà la phrase que j’entendais à chaque conférence. Si j’étais attiré par la carrière d’avocat, j’étais frappé par le nombre d’avocats qui se plaignaient d’avoir trop de travail.
Lors de mon entretien d’embauche avec l’avocat qui allait devenir mon maître de stage au sein du cabinet Stibbe (Marc van de Woude, président du Tribunal de l’Union européenne qui était alors associé au sein du cabinet Stibbe), je n’ai pas pu m’empêcher de lui poser les questions suivantes :
Si tous les avocats d’affaires ont tellement de travail, pourquoi passent-ils autant de temps à s’en plaindre ? Etes-vous comme eux ?
Sa réponse ?
“Non. Moi je me plains quand j’ai trop de travail et quand j’en ai trop peu.”
Je n’ai jamais oublié ce moment. Près de 15 ans plus tard, j’y pense toujours. Marc est un brillant juriste, un juge éminent et … un ténor du marketing.
Entretemps, j’ai quitté le barreau pour ensuite lancer une start-up dans le secteur hôtelier. Pendant six ans, j’ai mené une carrière d’entrepreneur. Guidé par le manque de moyens et une curiosité insatiable, je me suis mis à apprendre tout ce qui touche aux nouvelles technologies et au marketing (digital). Depuis lors, j’en ai fait mon nouveau métier de consultant.
En cette période de crise, j’ai été invité à rédiger un article à publier dans la revue Managing Lawyer (Larcier).
Le sujet proposé était de donner des conseils aux avocats sur les bonnes pratiques dans le domaine du networking, de la gestion de la présence en ligne et de la stratégie digitale.
Suivant la formule traditionnellement employée dans les articles de doctrine juridique, je suis contraint de vous faire savoir que le sujet est tellement vaste qu’il mériterait un ouvrage complet et donc que les considérations qui suivent ne peuvent prétendre à l’exhaustivité.
Mais je ne suis plus avocat. Donc je profite de cette occasion pour partager avec vous mon expérience sous forme de “confessions”. Ou plutôt des conseils que j’aurais aimé recevoir à l’époque où j’exerçais la profession d’avocat et où le marketing m’apparaissait à la fois étranger et à vrai dire, peu digne d’intérêt.
Table des matières
Aucun cabinet d’avocats ne peut survivre sans nouveaux clients
Commençons par l’évidence. Dans les grandes structures, quand il s’agit de marketing, de nombreux avocats se reposent presque totalement sur les initiatives du département marketing de leur cabinet (lorsqu’ils en ont un).
Mais peu d’associés ont vraiment confiance dans le marketing. Quand il s’agit de “trouver” de nouveaux clients, on retrouve souvent la même dynamique : certains associés excellent dans l’attraction et la fidélisation de clients (les “client magnets”) et d’autres avocats (associés ou non) sont en charge du travail juridique de fond (et de la mise à jour des connaissances).
Pour un jeune avocat, cet état de fait peut sembler perturbant : il faut apprendre le métier, servir les clients, trouver le temps de publier des articles (ou de rédiger des “clients alerts”), préparer des pitchs.
Mais voilà le problème des avocats : le marketing et le networking ne s’apprennent pas (facilement) dans les livres ou dans des séminaires organisés par le barreau.
Le jargon est l’ennemi du bon marketing comme du bon raisonnement juridique
En droit comme en marketing, le jargon trahit souvent la faiblesse d’un raisonnement. Tout bon avocat sait que le recours excessif au jargon porte atteinte à l’efficacité d’un avis ou de conclusions.
Le jargon pose également problème dans le marketing. Les modes évoluent, on parle de “personal branding”, “social selling”, “community management”, “growth-hacking”, “user experience”, “unique selling proposition”, etc.
Trop souvent, certains professionnels du marketing proposent de régler un problème “simple” (donner de la visibilité à des prestataires de services et attirer de nouveaux clients) avec des “recettes” marketing ou technologiques présentées de façon à la fois attrayantes et obscures.
Au jargon et aux tactiques à la mode, mieux vaut privilégier le retour aux fondamentaux. L’efficacité du marketing et de la vente tient avant tout à une bonne compréhension de la psychologie humaine.
La tiercé du marketing (digital) : Etre connu, apprécié et donner confiance
En résumé, pour “vendre” et “se faire connaître”, il faut : (i) adresser le bon message ; (ii) à la bonne cible ; (iii) au bon moment.
Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux sont avant tout de nouveaux canaux de communication et des outils permettant de récolter des informations sur vos clients (et vos concurrents).
Aujourd’hui, les technologies et les outils sont nombreux. Ils sont également plus accessibles. Toutefois, un bon outil n’est vraiment utile que si on sait pourquoi s’en servir (et pas seulement comment il fonctionne).
De même, en marketing, pour que les outils et tactiques soient vraiment efficaces, il faut les mettre au service d’une stratégie.
Rassurez-vous.
Le droit est comme la technologie : Les techniques évoluent mais les grands principes sont constants.
Pour faire simple, indépendamment des moyens choisis, voici trois résultats à atteindre pour un marketing efficace.
- Être connu ;
- Être apprécié ;
- Donner confiance.
Être connu
Les clients ne peuvent faire appel à vos services que s’ils vous connaissent. Ceci peut paraître simpliste. Mais c’est la premier résultat à atteindre. Permettre aux gens de savoir que vous existez. Faire savoir que vous intervenez dans tels et tels domaines. Il ne s’agit pas ici d’être célèbre. Simplement, d’apparaître dans le champ de vision de clients potentiels.
Pour y parvenir, les moyens traditionnels employés par les avocats sont : publications, conférences, networking (et un peu de publicité). Force est de constater que les avocats ont tendances à sur-investir dans les méthodes traditionnelles de marketing.
Pourtant, à l’heure actuelle, les réseaux sociaux sont un lieu idéal pour vous faire connaître. Il n’est pas nécessaire d’être un expert en réseaux sociaux pour y parvenir. Plutôt que de chercher à attirer l’attention sur vous (ou votre cabinet), utilisez les réseaux sociaux pour vous intéresser à vos clients actuels et potentiels. Donnez-leur de l’attention plutôt qu’espérer en recevoir. Le même conseil vaut pour le networking traditionnel.
Être apprécié
Au niveau de la formation et de l’expérience, de nombreux avocats sont en concurrence avec de nombreux confrères aux profils comparables.
Quand l’expérience et le type de cabinets sont comparables, les honoraires ne varient pas de façon significative (quand bien même des exceptions existent).
Ceci nous amène au deuxième objectif de vos actions de marketing : permettre à vos prospects de vous apprécier.
On ne vise pas ici à créer une familiarité artificielle. Simplement, à permettre à vos clients de mieux vous connaître et de créer un lien.
Encore une fois, quel que soit le canal par lequel vous choisissez de communiquer, l’enjeu est de laisser transparaître votre personnalité. Si vous voulez plaire à tout le monde, vous risquez de ne vous faire apprécier de personne. Il est même préférable de prendre le risque de déplaire à certains (ce qui aura souvent par ailleurs l’effet de vous rendre plus “désirable” aux yeux d’autres).
Donner confiance
La troisième étape (essentielle) est d’inspirer confiance. Il ne s’agit pas de gagner un concours d’ego. Simplement de permettre à vos clients potentiels d’avoir confiance en votre capacité de répondre à leurs questions ou de résoudre leurs problèmes.
Il n’est pas nécessaire d’avoir écrit un livre ou une centaine d’articles dans des revues académiques pour donner confiance. Inspirer confiance c’est surtout faire une promesse claire et s’y tenir. Il peut s’agir de votre disponibilité. Ou de convaincre un client que votre approche différente a déjà fait ses preuves dans d’autres affaires. Il peut même s’agir d’être transparent : ne pas cacher à vos clients vos propres limites peut également générer de la confiance.
Encore une fois, vos actions marketing doivent viser à établir ou renforcer un lien de confiance. L’une des stratégies les plus efficaces est la répétition.
Les avocats sont des marketeurs de contenus qui s’ignorent (et devraient apprendre le copywriting)
Les clients ne cherchent pas des avocats, ils cherchent des solutions à des problèmes juridiques (sur les moteurs de recherche, les mots clés les plus populaires sont “avocat pénal”, “avocat divorce”, “avocat roulage” et “avocat gratuit”).
Cependant les internautes font de multiples recherches pour trouver des réponses à des problèmes juridiques (et peu d’avocats apparaissent dans les résultats …).
Alors que les avocats passent beaucoup de temps à rédiger ou à plaider, rare sont ceux qui parviennent à communiquer efficacement pour vendre.
Si les avocats maîtrisent la langue écrite, ils ignorent en général tout du “copywriting” que l’on peut définir comme l’art d’écrire pour vendre. Ce domaine ne peut être réduit à “faire de la publicité”.
Heureusement, apprendre le copywriting est à la portée des avocats. Et de multiples ouvrages et formations peuvent les y aider. La bible en la matière ? Le livre de Jospeh Sugarman : The Adweek Copywriting Handbook: The Ultimate Guide to Writing Powerful Advertising and Marketing Copy from One of America’s Top Copywriters.
Si vous voulez également apprendre les leçons d’un des meilleurs publicitaires du monde, procurer vous l’autobiographie de David Ogilvy : Confessions of an Advertising Man. Vous y apprendrez à les secrets de la publicité, mais également comment bâtir développer une activité florissante avec un nombre limité de clients de première catégorie.
Vous aurez compris que cette colonne est un double hommage.
A ceux pour qui l’art du marketing est inné (comme le juge van der Woude) et à ceux qui en ont appris et partagé tous les enseignements (comme David Ogilvy).
Conclusion
Voici quelques conseils pratiques pour améliorer l’efficacité de votre marketing et de votre présence en ligne :
- Libérez vous du syndrome de l’imposteur. Il n’est pas nécessaire d’avoir écrit un livre ou une centaine d’articles dans des revues académiques pour donner confiance. Inspirer confiance c’est surtout faire une promesse claire et s’y tenir. Les clients attendent avant tout de trouver une solution à un problème juridique.
- Réseaux sociaux : Un moyen efficace de vous faire connaître. Il n’est pas nécessaire d’être un expert en réseaux sociaux pour y parvenir. Plutôt que de chercher à attirer l’attention sur vous (ou votre cabinet), utilisez les réseaux sociaux pour vous intéresser à vos clients actuels et potentiels. Donnez-leur de l’attention plutôt qu’espérer en recevoir. Le même conseil vaut pour le networking traditionnel (ou en ligne).
- Copywriting : Les avocats maîtrisent la langue écrite et orale, mais ignorent en général tout du “copywriting” que l’on peut définir comme l’art d’écrire pour vendre. Ce domaine ne peut être réduit à “faire de la publicité”. Apprenez les “codes” du copywriting pour attirer les bons clients.
- Prenez votre marketing en main. Que vous soyez seul ou dans un cabinet doté d’un département marketing, impliquez vous dans “votre” marketing. Utilisez votre présence en ligne pour être : (i) connu (pas nécessairement célèbre) ; (ii) apprécié (pour votre personnalité plutôt que vos rankings) ; et (iii) donner confiance à vos clients (Il ne s’agit pas de gagner un concours d’ego. Misez plutôt sur la transparence. Par exemple, ne pas cacher à vos clients vos propres limites peut également générer de la confiance).
Cet article a été initialement publié dans la revue Managing Lawyer (2020/2 – Numéro 16). L’édition complète est consultable gratuitement sur le site de Larcier.